Minéraux des Alpes françaises : cristaux, mythes et fascination
Frédéric Delporte
Depuis des temps immémoriaux, les « cristaux » ont été recherchés dans les Alpes. Vers 300 avant Jésus-Christ, Théophraste, disciple d’Aristote, évoque dans son “Peri lithon”, ouvrage sur “les roches” au sens large, notamment le quartz et quelques unes de ses utilisations courantes, comme la réalisation de sceaux. Les gisements des Alpes étaient une des sources majeures de cette matière première pour l’artisan. Dans son “Histoire Naturelle”, Pline l’Ancien, au premier siècle après Jésus-Christ, signale quelques gisements de quartz, «on estime fort celui provenant des montagnes des Alpes» affirme t-il.
Une « promenade » à travers les principaux sites est ici proposée, en s’attardant tout particulièrement sur les sites sources de spécimens parmi les meilleurs au monde pour une espèce minérale, ou au riche passé historique.
En haute vallée du Var, dans les gorges de Daluis, les anciennes mines du dôme de Barrot ont produit une exceptionnelle minéralogie. En effet, pas moins de six espèces minérales nouvelles depuis moins de 10 ans ont été identifiées. De plus, de très beaux spécimens de cuivre natif y ont été découverts, notamment lors de l’activité minière de la fin du XIXème siècle, plus particulièrement aux indices de Roua.
Dans les Alpes-de-Haute-Provence, à Saint-Pons, d’importantes lentilles de sidérite contenues dans des marnes callovo-oxfordiennes contiennent une minéralisation sulfurée. Vers la fin des années 1980, de fabuleuses découvertes de rares sulfosels de plomb et de cuivre ont été faites. Les meilleurs spécimens connus de chalcostibite sont découverts, de même que de très bons spécimens de zinkénite et dadsonite, Saint-Pons étant la cinquième référence mondiale pour l’espèce (pour ces deux espèces deux à trois autres gisements peuvent faire jeux égal en terme de qualité). Plus classique, la paragénèse comprend également de la bournonite, de la boulangérite et de la tétraédrite.
Vers Allos, au sud de Barcelonnette, dans les Alpes-de-Haute-Provence, plus particulièrement dans la haute vallée du Verdon, les terrains sédimentaires préalpins (souvent crétacé inférieur à oligocène), souvent des flyschs, recèlent de bonnes surprises : dans les fissures des calcaires, des grès et des marnes, de splendides et parfois volumineux quartz « fenêtres » à inclusions d’hydrocarbure. L’ouverture des fentes est de l’ordre de quelques centimètres, et excède rarement les dix centimètres. Ce type de cristallisation se retrouvent en Isère vers Grenoble, notamment à Pontchara, en Haute-Savoie dans le massif des Aravis et les falaises du désert du Platé, ou encore en Suisse dans le val d’Illiez.
Aux mines de « charbon » de La Mure, aujourd’hui fermées, à la fin des années 1970, les travaux ont recoupé des fissures « alpines » riches en minéralisation. Notamment, de fantastiques spécimens de sphalérite souvent rouge vif, de bournonite (2/3 cm, généralement d’un beau noir brillant), de tétraédrite (record à environ 5/6 cm d’arêtes), de sidérite miel à blonde, parfois aux reflets verdâtres, de grandes dimensions, en lamelle ou rhomboèdre, de boulangérite, de dolomite (jusqu’à 7/8 cm d’arêtes) ont été sorti par les mineurs et acquis avec vivacité par les collectionneurs privés et parfois publics. Malheureusement, la plupart des minéralisations n’ont pu être prélevées, celles-ci gisent à jamais aux tréfonds de la terre, nul n’en profitera jamais, l’exploitant minier n’ayant pas jugé utile d’organiser une collecte rationnelle (ce qui se fait dans de nombreuses mines de part le monde, sauf en France !).
L’Oisans, en Isère, est depuis la fin du XVIIIème siècle un paradis pour les minéralogistes. De nombreux gisements s’y trouvent et produisent des spécimens remarquables. Citons la mine d’or de La Gardette, exploitée dès 1781, qui n’a jamais produit beaucoup d’or mais qui, par contre, a produit de fantastiques spécimens de quartz, parmi les meilleurs au monde. Les cristaux de quartz sont parfois maclés à 84°33, en macle dite de La Gardette. Cette macle a été décrite pour la première fois à partir de spécimens de cette mine par Weiss en 1829, puis réétudiée par Des Cloizeaux vers la fin du XIXème siècle. Cette mine a produit également de gros cristaux de chalcopyrite, de la brannérite, de l’aïkinite, de la sidérite, des spécimens d’or, etc.
A La Gardette, des travaux sont effectués vers 1990, l’objectif étant d’ouvrir une faille dans le secteur dit du « grand puit ». Il faudra plusieurs mois de préparation pour réunir les hommes et le matériel, puis effectuer la montée de celui-ci à dos d’homme. Le dépilement du « grand puit » commence par les deux côtés début janvier 1990. Le filon y est rectiligne sur plusieurs mètres et se révélera sans poche, puis une fissure importante sans glaise est enfin rencontrée. Une des premières découvertes fut une belle macle. Puis il se présentait une pièce flottante de grande taille (au moins un mètre de diamètre), totalement recouverte de cristaux, un buisson de pointes de quartz limpide ! Cette pièce trône dans une vitrine particulière au musée de Bourg d’Oisans, qui en a fait l’acquisition, avec une importante série de spécimens de cette découverte.
Une découverte plus importante en nombre de spécimens se fit de l’autre coté du puit, plus bas. La fissure vidée fit 7/8 mètres de longueur et se trouvait 17 mètres plus bas que le point de départ. Beaucoup de spécimens étaient tombés au fond de la fissure, détaché naturellement des parois (par les mouvements tectoniques lors de la fin de formation de la fissure), très abîmés par la chute, au milieu d’une importante quantité d’aiguilles de quartz.
Une autre mine historique d’Oisans est la mine des Chalanches, exploitée à partir de 1767 jusqu’à la fin du XVIIIème siècle. Dix tonnes d’argent y ont été extraites, ce qui somme toute en fait un petit gisement, mais le minerai y était concentré et donc l’exploitation fut très rentable. Environ soixante espèces de minéraux y ont été découvertes. Un oxyde d’antimoine y a été identifié pour la première fois en 1783 par Mongez et nommé valentinite, ainsi qu’une association particulière de deux substances : un minéral, le stibarsen (AsSb hexagonal) et un élément natif, l’antimoine. Cette association est nommée allemontite, d’après le village d’Allemont dans la vallée. D’autres gisements en Oisans ont été la source de premières descriptions.
Citons la découverte de l’épidote au Cornillon en 1782, celle de l’axinite vers 1780/81 à la Balme d’Auris, de l’anatase en 1783, remarqué par De Bournon au filon de Font-Poulain, commune de Maronne, également co-localité type avec Chamonix pour la titanite décrite par Pictet en 1787, de la brookite au Plan du Lac, co-localité type avec un gisement du Royaume Uni, Tremadog. On ne peut oublier en Oisans les remarquables spécimens de préhnite de la Rivoire (Mont de Lans) et de la combe de la Selle. Romé de l’Isle décrit la prehnite en 1783 suite à une découverte de De Bournon, et Haüy dans sa “Minéralogie “, publiée en 1801, évoque les spécimens découverts par Schreiber à la Rivoire en 1782.
La préhnite est associée à l’actinolite, cette dernière l’englobe d’ailleurs très souvent et qu’il faut « brosser » les spécimens pour laisser apparaître la préhnite, parfois également à l’épidote, généralement ici vert très clair à jaunâtre, à l’adulaire, et curieusement à des inclusions massives de galène dans la gangue amphibolitique. Les meilleurs spécimens de ce site ont leur place dans le « best off » de la minéralogie mondiale, par leur forme caractéristique et si particulière, et leur excellente couleur.
En 1988, le gisement d’axinite des Rochers d’Armentier, autre lieu mythique de la minéralogie, est redécouvert notamment par Roland Chincholle et ses coéquipiers. Ils vont exploiter le gisement avec des conceptions modernes quant à la collecte : ne sortir que des spécimens parfaitement intacts. Une galerie d’une trentaine de mètre fut creusé dans la roche mère, l’amphibolite, qui, fissurée à cet endroit, à permis aux cristaux d’axinite de se former. L’utilisation de moyens mécaniques (perforateur) et d’explosif (micro-charges) fut indispensable pour révéler au grand jour les merveilleux cristaux. Ceux-ci sont maintenant en sécurités et visibles aussi bien dans de nombreuses collections publiques que dans de multiples collections privées.
A l’entrée de l’Oisans, près de la commune de Vizille, le lieu dit « Les Rivoirands », des filons de quartz affleure non loin d’une ancienne mine de sidérite (dite de « Pierre Rousse »). Ces filons, exploités par des passionnés pour leur minéralogie depuis la fin des années 1970, ont produit des spécimens remarquables : larges plaques de quartz (certes souvent un peu jaunâtres par les oxydes de fer), cristaux avec habitus « muzo », spécimens avec macle dite de La Gardette, cristaux sceptres, voire encore plus exceptionnel, macle de La Gardette avec extrémités sceptrées ! Ces filons sont généralement très riches en sidérite altérée, un gros travail de préparation des spécimens collectés est nécessaire pour enlever cette substance et rendre présentable les découvertes. Des spécimens de sidérite bien cristallisés ont toutefois été trouvé, parfois associé à de l’ankérite, de la bournonite et à de la sphalérite.
Non loin de là, la mine de Jouchy, sur la commune de Saint-Pierre de Mésage, a produit vers 2002/2003 d’excellents spécimens de sidérite, miels, associés également à la bournonite, à des quartz à âme (dont un exemplaire de 14,5 par 12,5 cm !) et de manière anecdotique à l’apatite rose. De même, à proximité, la galerie « Fontfraîche » a fourni d’excellents cristaux de dolomite et de pyrite sur dolomite.
Le massif au sud d’Allevard a été l’objet d’exploitations pour le fer à partir de la sidérite depuis le moyen-âge. D’excellents spécimens de sidérite, de quartz, parfois en macle de La Gardette, de quartz sur sidérite font de ce gisement un haut lieu de la minéralogie. Les sidérites d’Allevard peuvent être considérées comme parmi les meilleures connues. La bournonite, la tétrahédrite, l’ankérite et dolomite ont également été découvertes à Allevard. La plupart des spécimens ont été extraits dans la deuxième moitié du XIXème siècle.
Entre Maurienne et Tarentaise, en Savoie, le massif de la Lauzière est riche de nombreuses espèces curieuses. On peut remarquer plus particulièrement l’anatase avec des cristaux jusqu’à 4,6 cm, ce qui est remarquable pour l’espèce (record de l’espèce à 5,2 cm pour une anatase du Binntal de l’Alp Lercheltini en Suisse, dans la collection de la Smithonian Institution, ex-collection Carl Bosh, trouvée à la fin du XIXème siècle). Diverses couleurs de cristaux sont rencontrées : noir, noir-bleuté, gris mat, rouge/rougeâtre, orangé/rouge, etc.
Ces cristaux d’anatase peuvent être considérés comme un des fleurons de la minéralogie Alpine. A l’anatase est associé le rutile, pseudomorphosant souvent les cristaux d’anatase ou traversant les cristaux de quartz, la titanite, l’apatite rose (rare, jusque 2/3 cm), la bertrandite et la phénacite, en petits cristaux millimétriques, le béryl bleu (aigue-marine !), et la monazite, en jolis cristaux bien orange et brillant, assez gros pour l’espèce (5/6 mm).
Dans de très limités et rare secteurs, voire même au niveau d’une fissure particulière, les cristaux de quartz contiennent un rare sulfosel de plomb, la ménéghénite. La quartz peut se trouver à La Lauzière incolore, chloriteux, avec parfois de très beaux ensembles présentant un dégradé des verts de la chlorite, ou présentant des « fantômes », ou encore « fumé », avec une jolie couleur cognac/rosée, et un éclat généralement très brillant. Des constructions de type quartz à âme sont aussi présente, et s’expriment de manières des plus élégantes et délicates.
Le quartz est recherché depuis des siècles dans le massif du Mont-Blanc, des documents l’attestent dès le dix-septième siècle. A cette époque les cristaux sont recherchés par les cristalliers pour être vendus aux tailleries, notamment de Paris, Genève et Milan. On nomme « Cristallier » en France, « Strahler » en Suisse, les personnes qui recherchent des « cristaux » dans les Alpes pour en faire le commerce. L’intérêt pour les spécimens de collection n’apparaîtra qu’à la fin du dix-huitième siècle.
En 1834, Horace-Bénédict de Saussure nous détaille l’activité des cristalliers de la fin XVIIIème / début XIXème siècle dans le massif du Mont-Blanc : «La recherche du cristal et la chasse sont les seuls travaux qui soient demeurés le partage exclusif des hommes. Heureusement on s’occupe beaucoup moins qu’autrefois du premier de ces travaux ; je dis heureusement, parce qu’il y périssait beaucoup de monde. L’espérance de s’enrichir tout d’un coup, en trouvant une caverne remplie de beaux cristaux, était d’un attrait si puissant, qu’ils s’exposaient dans cette recherche aux dangers les plus affreux, et qu’il ne se passait pas d’année où il ne pérît des hommes dans les glaces ou dans les précipices. Le principal indice qui dirige dans la recherche des grottes ou des fours à cristaux, comme ils les appellent, ce sont les veines de quartz, que l’on voit en dehors des rochers de granit ou de roche feuilletée. Ces veines blanches se distinguent de loin et souvent à de grandes hauteurs sur des murs verticaux et inaccessibles.
Ils cherchent alors ou à se frayer un chemin direct au travers des rochers, ou à y parvenir de plus haut en se faisant suspendre par des cordes. Arrivés là, ils frappent doucement le rocher, et lorsque la pierre rend un son creux, ils tâchent de l’ouvrir à coups de marteaux, ou en la minant avec la poudre. C’est là la grande manière ; mais souvent aussi des jeunes gens, des enfants même vont en chercher sur les glaciers dans les endroits où les rochers se sont nouvellement éboulés. Mais soit que l’on regarde ces montagnes comme à peu près épuisées, soit que la quantité de cristal que l’on a trouvée à Madagascar ait trop rabaissé le prix de cette pierre, il y a très peu de gens pour ne pas dire personne à chamouni, qui en fasse son unique occupation. Ils y vont de temps en temps comme à une partie de plaisir». De ce texte, retenons que les cristaux ne sont plus recherchés pour les tailleries au XIXème siècle, car la concurrence de la production de pays étrangers est trop vive, mais que le marché des spécimens de collection est des plus actif. Le recours à l’explosif est des plus banal pour ouvrir les “fours” à cristaux.
De nos jours encore, d’intrépides cristalliers parcourent le massif du Mont-Blanc à la recherche de spécimens. La pratique de l’Alpinisme est de rigueur. Cette collecte permet de sauver de très nombreux spécimens, qui sinon seraient immanquablement détruits par l’érosion, notamment le gel et les éboulements. Le massif produit de fantastiques cristaux de quartz morion, fumé et incolore, parfois avec en une cristallisation particulière appelée “peigne” en France (les meilleurs au monde avec ceux des massifs centraux suisses où ce type de cristallisation est appelé “gwindel”), et d’inouïs cristaux de fluorite rose voire rouge, les meilleurs connus pour l’espèce. De très nombreuses autres espèces ont été découvertes, tel l’épidote, l’améthyste, en cristaux sceptres présentant un capuchon violet sur un prisme fumé, la titanite, la millarite, la scheelite, etc.
Nous ne pouvons omettre de signaler en débordant les frontières le gisement d’axinite du Catogne, au nord du massif, en Suisse, qui a fourni des spécimens d’axinite de fortes tailles (un cristal de 17 cm !), très foncé. Un spécimen fantastique de ce gisement, extrêmement esthétique, est peut être le meilleur des Alpes (monde ?). Non loin, le gisement de brookite de Salvan, Les Marécottes, a produit d’excellents spécimens de fins cristaux, parfois de plusieurs centimètres, sur quartz blanc et incolore. Diverses publications traitent de la minéralogie du massif du Mont-Blanc, dont un remarquable hors série de la revue “Le Règne Minéral“.
Notons que de nombreux musées en France ont eu une politique d’acquisition ambitieuse en matière de minéralogie alpine. Signalons le musée d’Histoire naturelle de Grenoble, qui acheta à un cristallier une très importante collection de minéraux alpins au début des années 1990. Le musée de Bourg d’Oisans, avec le soutien des collectivités territoriales, a vers la même époque acheté une magnifique collection de minéraux d’Oisans et des mines de La Mure, constituant l’ossature du musée des minéraux de Bourg d’Oisans.
La minéralogie alpines représente un thème classique de la collection minéralogique, très présent tant en France, qu’en Allemagne, en Suisse, en Autriche, en Italie, et incontournable dans tout musée de minéralogie. Il reste dans nos Alpes d’innombrables gisements à découvrir ou à redécouvrir, à explorer, et d’autres à exploiter. Puisse la collecte de spécimens dans les Alpes se perpétuer et par la même accroître le patrimoine que nous laisserons aux générations futures.
Nos vifs remerciement à Jeff Scovil pour certaines des photos illustrant cet article.