La mine de la Gardette se situe sur la commune de Villard-Notre-Dame en Isère, à environ 5 km de Bourg d’Oisans. Les entrées des galeries principales de la mine se trouvent vers 1.290 mètres d’altitude.
Une des plus anciennes activités connues à la Gardette date de 1717, des cristalliers cherchent des cristaux de quartz pour les porter aux tailleries du Genevois et découvrent avec le quartz des « pierres jaunes ». Après un essai de fonte à Grenoble, l’or est signalé. Suite à cette découverte, des fouilles officielles sont effectuées par l’Etat vers 1729/33. Celles-ci sont peu fructueuses, elles resteront sans suite. Les cristalliers continuent d’exploiter le gisement pour les cristaux de quartz afin d’alimenter le commerce de cette matière première qu’utilisent les tailleries de cristal de roche (nom donné au quartz dans les tailleries pour le différencier du cristal fabriqué par l’Homme).
Vers 1770, des échantillons de la Gardette présentant de l’or sont présentés à M. Binelli. Celui-ci est directeur de la mine des Chalanches qui a été découverte en 1767 en Oisans. Elle produit notamment de l’argent. Il est également directeur de la fonderie d’Allemont qui sert à fondre le minerai de la mine des Chalanches. Binelli après études des échantillons et du site de la Gardette ne donne pas suite.
La collection de spécimens minéralogiques apparaît en cette deuxième partie du XVIIIème siècle. Elle est issue du développement des collections d’Histoire Naturelle, elles mêmes issues des cabinets de curiosités, chambres des merveilles ou au Trésor des XVIème et XVIIème siècle.
En Oisans, c’est la concomitance de recherches et d’exploitations minières d’une part, et de l’incroyable engouement pour la collection des spécimens minéralogiques d’autre part qui va générer le développement des prospections minéralogiques de ce dernier quart du XVIIIème siècle.
Les prospecteurs poursuivent bien sûr leurs recherches de cristaux de quartz destinés aux tailleries, mais ils sont maintenant également motivés par la possibilité de découvertes de riches gîtes métallifères (comme à la mine d’argent des Chalanches), et surtout par la possibilité de trouver des spécimens minéralogiques, qui se vendent à l’époque très facilement pour des sommes extrêmement importantes. Ce dernier travail est alors bien plus rémunérateur et moins pénible que l’exploitation des cristaux pour les tailleries, nécessitant des volumes important de cristaux limpides.
En 1776, la mine des Chalanches et toutes celles de l’Oisans sont concédées à Monsieur, frère du Roi et comte de Provence, le futur Louis XVIII. La direction de l’exploitation de la mine des Chalanches, ainsi que d’autres sites miniers en Oisans et de la fonderie d’Allemont, est confiée à M. Schreiber en 1777. Il explore rapidement tous les gîtes connus ou récemment découverts de l’Oisans. Il cherche notamment à trouver des gisements exploitables de galène, car celle-ci est nécessaire à la fonte des minerais d’argent des Chalanches.
Schreiber a écho des recherches faites à la Gardette. Il parvient à acheter en 1778 le ou les échantillons montrés à Binelli. Avec ces échantillons qui comprennent de l’or, il se rend sur le site de La Gardette, et fait faire quelques fouilles pour rafraîchir les travaux des cristalliers. Il constate l’analogie entre la gangue de ses spécimens et celui des filons mis à jour. Des recherches de plus grande ampleur sont programmées à la Gardette. Elles démarrent en 1781, avec 12 mineurs et un maître-mineur. Mais Schreiber s’aperçoit rapidement du peu de potentiel du gîte. L’exploration du site est intermittente, il semble que Schreiber ait envisagé un arrêt des recherches dès 1784.
Seule la découverte régulière de beaux spécimens pour les collections est à noter, aussi bien en quartz qu’en or natif, chalcopyrite, galène, et autres.
Le célèbre Dolomieu cite Ducros, bibliothécaire et responsable de la collection d’Histoire Naturelle de la ville de Grenoble, proche de Schreiber, « jusqu’à présent, le filon n’a donné que quelques morceaux dont les plus riches ont été cédés aux amateurs ; le reste, de peu de valeur, a été traité par le mercure pour en extraire l’or : le lingot a été envoyé à Monsieur. » Ce lingot, fondu en 1784, pesait plus ou moins 600g. La quantité d’or produite est bien faible !
Lucide, Schreiber arrête finalement les recherches en 1788.
Un fait assez exceptionnel est à noter. Schreiber pendant toute la durée des recherches à la Gardette, de même qu’aux Chalanches, organise la vente de spécimens minéralogiques pour les collections, comme il est d’usage dans son pays d’origine, la Saxe. Le produit de ces ventes est intégré aux comptes des exploitations.
Après l’abandon des travaux et du site par le concessionnaire, les cristalliers réinvestissent les lieux. Héricart de Thury, ingénieur des mines, signale en 1803 que certains locaux furent « excités » par ces fouilles, qu’ils reprirent. Selon lui, les médiocres résultats de leurs fouilles « les dégoûtèrent promptement de leur entreprise dont ils ne recueillirent que quelques médiocres échantillons de peu de valeur, mais qu’ils trouvèrent cependant à vendre avantageusement aux amateurs ». Il note aussi en 1805 que « les habitants du hameau de la Gardette, profitant de l’abandon des travaux entreprennent pendant la morte saison des recherches à leurs frais, et souvent, ils obtiennent quelques succès. Le succès des recherches des montagnards prouve qu’on peut y entreprendre des travaux avec avantage ».
En 1812, Schreiber, maintenant directeur général des mines, toujours au service de l’état comme Héricart de Thury, fut sollicité pour un nouveau rapport sur le potentiel du gîte, à la demande du gouvernement. Il écrivit au ministre de l’intérieur le 8 septembre 1812 « si le gouvernement se bornait à vouloir ne retirer de l’exploitation des mines de la Gardette que des échantillons précieux pour un cabinet de minéralogie, on pourrait faire quelques sacrifices en ce sens ».
Plus tard, en 1829, lors d’une demande d’octroi de concession du site, Emile Gueymard, ingénieur des mines au service de l’Etat, affirme que « depuis 1788 jusqu’à ce jour, il n’y a eu que quelques fouilles insignifiantes, continuées par des mineurs qui vendent des minéraux au Bourg d’Oisans. L’appât de la découverte d’un filon riche les a conduits quelquefois à faire des trous de mine, mais presque sans aucun succès. Ils ont plus trouvé d’échantillons dans les débris de l’ancienne exploitation que dans les puits ou les galeries ». Les cristalliers investissent donc toujours régulièrement la Gardette.
Lors d’une reprise des recherches de 1838 à 1840 par une compagnie gérée par M. May, des minéraux sont de nouveau vendus par l’exploitant aux négociants de spécimens minéralogiques ou directement aux collectionneurs. Albert Bordeaux, ingénieur des mines, qui fut un des responsables de l’exploitation du site vers 1900, écrivit que lors des recherches dirigées par M. May, « le principal revenu fut la vente des échantillons d’or libre et de quartz hyalin, pour les collectionneurs et les musées ». Les recherches « May » se termineront par un nouvel échec.
La Gardette est de nouveau laissée aux cristalliers, qui approvisionnent toujours collectionneurs, commerçants, musées… On peut tout particulièrement noter comme acheteur Alfred Lacroix, professeur de minéralogie au Museum de Paris et responsable des collections, client du cristallier Albertazzo, et de quelques autres, dont le minéralogiste Allemand Groth.
Ou encore comme collectionneur, le tout jeune Vésigné, à qui les parents achètent vers 1870/80 ses premiers « cailloux » (à Albertazzo, à plusieurs cristalliers, à des hôteliers de l’Oisans, etc). Vésigné deviendra un des plus importants collectionneurs du XXème siècle, avec plus de 40.000 spécimens rassemblés, dont beaucoup des Alpes. Cette importante collection est maintenant partagée entre les trois grandes structures nationales installées à Paris : le Museum, la collection de l’Université de Paris V – Jussieu et l’Ecole Nationale des Mines.
Les recherches faites autour de 1900, par plusieurs compagnies, se suivent avec insuccès.
La production totale d’or depuis la découverte du site ne représente que quelques kilogrammes. On peut avancer le chiffre de plus ou moins 3 kg d’or découvert, ce qui est bien peu.
Après 1900, des collectionneurs se rendent sur le site afin de tenter de prélever des échantillons et d’enrichir ainsi leur collection. Le site est bien sûr toujours fouillé plus ou moins régulièrement par les cristalliers, pour fournir les collectionneurs, mais aussi les touristes, nouveaux venus dans les Alpes, affectionnant les souvenirs typiques de leurs lieux de villégiature.
Bernard Poty est en Oisans dès le début des années 1960, afin de préparer sur le terrain sa remarquable thèse, « La croissance des cristaux de quartz dans les filons sur l’exemple du filon de La Gardette (Bourg d’Oisans) et des filons du massif du Mont-Blanc ». Soutenue en 1967, elle reste un des rares travaux scientifiques sur le site. Il fait découvrir le site à l’un de ses amis, le guide et cristallier Roger Fournier de Chamonix, dont il est parfois aussi le client. Roger Fournier entreprit d’importants travaux à la Gardette, dès les années 60, et fit de très belles découvertes.
Les succès de ces cristalliers encouragent de nouvelles personnes autochtones à l’Oisans à se lancer dans la recherche des cristaux.
La collection des spécimens minéralogiques se développe fortement en France et dans le monde, et devient particulièrement importante au début des années 1980. Cet engouement motive de nombreux travaux importants de cristalliers. Grâce aux goûts « modernes » des collectionneurs de minéraux, importés des standards américains des années 1960/70, les cristalliers s’efforcent de n’extraire que des spécimens les plus parfaits possibles. Les pièces portant des coups, des cristaux cassés ou même juste ébréchés sont dédaignées par les collectionneurs. Par cette modification de la demande, des spécimens bien plus beaux et bien plus parfaits sont extraits, reléguant la plupart des « anciens » spécimens au rang de reliques.
Les pièces achetées aux cristalliers par le musée de Bourg d’Oisans, par le musée de Grenoble, certaines acquisitions des trois grands musées de minéralogie parisiens nous montrent combien la qualité de ces découvertes modernes est impressionnante, par rapport aux « vieux » spécimens du XVIII ou XIXème siècle gardés dans ces mêmes musées.
Les découvertes modernes permettent la mise en place de nombreuses expositions et la présentation au grand public des merveilles minéralogiques de l’Oisans. Des présentations sont montées dans tout l’Oisans, notamment à la bourse aux minéraux de Bourg d’Oisans, ou en 1998 lors de l’exposition « Les minéraux de France » au Museum à Paris, pour laquelle de nombreux collecteurs et collectionneurs de minéraux avaient prêté leurs plus belles ou plus rares pièces. Ces découvertes permettent également la réalisation de multiples publications scientifiques et de vulgarisations dans divers livres ou revues.
La tradition de collecte à la Gardette par les cristalliers s’est maintenue tant bien que mal jusqu’à ces dernières années. Elle est cependant plus active sur des sites d’intérêt minéralogique similaire en Suisse ou en Autriche. Dans ces pays, les cristalliers sont considérés comme du « patrimoine vivant », gardien d’une longue tradition montagnarde, et sont accompagnés par les pouvoirs publics dans leurs activités. Rappelons que de par la spécificité du site de la Gardette, celui-ci n’a été que peu fréquenté par les amateurs de minéralogie. Seuls quelques cristalliers expérimentés et équipés ont pu avoir une activité de collecte sporadique.
>> D’autres photos de minéraux de la Gardette sur ce site, et il y a même une page totalement dédiée aux photos de quartz de La Gardette, avec or ou en macle parfois.
On peut conclure en résumant l’histoire du site de la Gardette en quelques mots. La Gardette est un site découvert par des cristalliers au tout début XVIIIème siècle, exploité pour le commerce des cristaux puis des spécimens de collection dès l’origine. Divers travaux de recherche ont été réalisés pour l’or, toujours avec un rapide insuccès.
L’activité de cristallier est une tradition pluriséculaire, une des rares activités typiques des Alpes, une des dernières à subsister. Cette activité a pu permettre la préservation d’un important patrimoine minéralogique pour le plus grand bien de la collectivité. Puisse cette culture montagnarde qui est à l’origine de tant de sites célèbres se perpétuer… Car que sont ces sites remarquables sans ceux qui en ont fait l’Histoire ?