Tassel écrivait en 1967 qu’« il peut sembler invraisemblable, de nos jours que, pour quelque dix tonnes d’argent en tout, une communauté minière, comprenant jusqu’à 88 personnes, ait travaillé 32 ans (1767-1799), creusant plus 15km de puits et galeries, à 2000m d’altitude, et ceci avec un bénéfice d’un peu plus de 200.000 francs or ! Tel fut cependant le cas de la mine des Chalanches, près d’Allemont, dont le nom n’est plus guère connu que des minéralogistes »…
La Découverte
Le gîte est découvert en automne 1767 par la bergère Marie Payen, qui plus tard recevra une importante dot en récompense. Des fouilles clandestines sont faites par des paysans au printemps 1768, deux accidents surviennent et font plusieurs morts à chaque fois. L’intendant du Dauphiné Pajot de Marcheval mène une enquête en juillet 1768.
Une première analyse officielle de minerai est réalisée en octobre 1768. L’intendant assure la garde du site, et en prend possession au nom du Roi. En août 1769 l’ingénieur Binelli, alors en poste à la mine de Pesey en Savoie, visite le site. Il prend la direction de l’exploitation. Les premiers bénéfices sont réinvestis dans la construction des bâtiments de la mine, de la fonderie à Allemont, et dans l’achat de matériel.
L’âge d’or… Ou d’argent des Chalanches…
En 1776, la mine des Chalanches et toutes celles de l’Oisans sont concédées à Monsieur, frère du Roi et comte de Provence, futur Louis XVIII. La direction de l’exploitation des Chalanches et autres sites, de la fonderie d’Allemont, est confiée à l’ingénieur des mines saxon Johann Gottfried Schreiber en 1777.
Schreiber écrivit en évoquant la mine des Chalanches qu’ « on y vient qu’à travers des précipices et par des chemins horribles, et on y monte à force de dépenses, à dos de mulets ou d’hommes, tous les matériaux nécessaires à l’exploitation comme le fer, la poudre, l’huile, le bois d’étai, celui de chauffage pour les mineurs ; on est obligé d’y loger les ouvriers qui, lorsqu’ils en descendent pour entendre à Allemont la messe les jours de fêtes en hiver, ont toutes les peines du monde pour y remonter, car il faut qu’ils se fraient un chemin à travers 4 ou 5 pieds de neige en allant d’Allemont à la mine, trajet qui exige ordinairement trois heures en été ».
La mine, très célèbre à cette époque, eu la visite de Monsieur, frère du Roi et comte de Provence (futur Louis XVIII). Schreiber écrivit qu’ « il a fait une visite lui même à la mine des Chalanches. Il est monté à cheval entre deux ouvriers mineurs dont l’un se tenait à droite, l’autre à gauche de la tête du cheval. Il est descendu à pied, marchant entre les mêmes mineurs, et en s’appuyant quelquefois sur leurs épaules ».
Graff signalera qu’ « il a été rencontré en février 1778 un échantillon d’argent presque entièrement natif, pesant 31 livres, et entouré de cobalt merde d’oie avec du cobalt oxidé noir. »
En 1784 et 1785, une production record annuelle de 600 kg d’argent est enregistrée, avec 85/90 ouvriers employés à la mine.
De la révolution à la fin de l’Empire
Après la révolution, Monsieur émigre en 1791, emportant avec lui les liquidités de la mine. Celle-ci devient un bien nationale le 2 août 1792. Elle prend le nom de mines d’argent d’Allemont. Le 16 mars 1802, un décret nomme Schreiber à la mine de Pesey en Savoie, c’est la fin de la prospérité pour les Chalanches.
Au XIXème siècle
Une longue suite d’opérations financières et spéculatives sans exploitation hormis quelques « grattages » s’instaure, la mine tombe dans l’oublie au début du XXème siècle.
Le minerai, l’argent et les minéraux des Chalanches
Guettard présentait ainsi à la fin du XVIIIème siècle le gisement : « les filons de cette mine sont renfermés entre des bancs de quartz en rocher gris de fer, teint souvent de rouille de fer ; ce quartz forme le toit et le plancher de ces filons ; la mine est souvent au milieu d’une terre noire, et qu’on prendrait pour une espèce de noir de fumé ; on trouve aussi dans cette terre des pierres quartzeuses qui ont des cavités tapissées de petits cristaux blancs ; ce filon a quelquefois un pied et plus de largeur, il n’y a quelquefois que quelques pouces ; il s’élargit et s’amincit à plusieurs reprises. »
« L’argent y est minéralisé ou non minéralisé, l’un et l’autre est uni en rocher, dans une pierre graveleuse, dans une terre noire ou dans du cobolt [nom du cobalt à cette époque] ; on l’y trouve en grains plus ou moins gros, ou bien en filets, en cheveux, en ramifications. »
Graff évoque de son coté le mulm, la terre ferrugineuse souvent très argentifère. « L’argent s’y trouve à l’état natif en petits filaments droits ou contournés, en poussière noire que les mineurs allemands nomment silbermulm, et aussi quoique plus rarement à l’état de chlorure ». Il ajoute également que « tous les filons composés de terres ferrugineuses argentifères sont pour ainsi dire formés d’une série de lentilles aplaties, […] »
Environ soixante espèces de minéraux ont été découvertes aux Chalanches, faisant de ce site un des plus remarquables de France. Un oxyde d’antimoine y a été identifié pour la première fois en 1783 par Mongez, et nommé valentinite, ainsi qu’une association particulière de deux substances : un minéral, le stibarsen (AsSb hexagonal) et un élément natif, l’antimoine. Cette association est nommée allemontite, d’après le village d’Allemont dans la vallée.
Quelques uns des minéraux trouvés également aux Chalanches :
·Actinolite, ·Ankérite, ·Annabergite, ·Antimoine natif, ·Argentite, ·Arsénolite, ·Arsénopyrite, ·Asbolite, ·Bismuth, ·Calcite, ·Cinabre, ·Dolomite, ·Erythrite, ·Kermésite, ·Löllingite, ·Mercure, ·Nickélite, ·Rammelsbergite, ·Stibine, ·Pyrargyrite, ·Quartz, ·Skuttérudites, ·Sphalérite, ·Stilbite, etc.
Les minéraux des Chalanches circulent de suite dans toute l’Europe, des spécimens sont spécifiquement collectés pour les Naturalistes et collectionneurs, suivant en cela une tradition Germanique.
Article de Frédéric Delporte publié avec son aimable autorisation.