Les minéraux ont toujours fait l’objet d’un commerce actif et extrêmement développé et ont été depuis longtemps collectionnés. L’Histoire et les faits montrent que ce commerce et les collections ont grandement contribué à la préservation des minéraux.
Paul Desautels fut conservateur en son temps de la collection minéralogique de la Smithsonian Institution à Washington, un des plus importants musées au monde. Lors du neuvième symposium de l’Académie des Sciences de Rochester en 1982, il résuma sous forme de lois quelques vérités implacables relatives à la minéralogie. Les lois de Desautels sont depuis passées à la postérité.
Sa première loi, dite de “disponibilité“, s’énonce ainsi : “L’approvisionnement en spécimens à un moment donné est directement proportionnel à la masse d’argent offerte sur le marché. Les marchands vont s’éparpiller sur tout le globe pour creuser à la recherche de minéraux (et en négocier), dans tous les endroits possibles, et ils vont les ramener, de telle sorte qu’il y a une relation directe : l’argent pour les marchands, les spécimens pour nous ! “. Desautels exprime ainsi son pragmatisme. Son dynamisme fit de lui un extraordinaire gestionnaire de collection minéralogique et un connaisseur sans égal.
Par l’Histoire et quelques “histoires”, une rapide tentative d’illustration de cette relation entre négoce et préservation des spécimens minéralogiques est proposée. Cet exposé sera des plus incomplets tant il y aurait matière à recherches et publications, un bref aperçu du sujet est ici présenté, un modeste prodrome…
Des origines de l’homme au Moyen-Age
Les roches et les minéraux ont depuis toujours été recherchés dans un but utilitaire (le silex pour façonner des outils, etc), cultuel, esthétique, comme symbole de pouvoir ou de rang social (l’or en particulier). L’ambre du pourtour de la mer Baltique, le quartz des Alpes, sont prisées depuis fort longtemps. Des bijoux en ambre se retrouvent dans de nombreuses sépultures préhistoriques, attestant de circuits d’échanges complexes à travers toute l’Europe. En Egypte, l’époque prédynastique (environ 5000-3000 ans avant J.-C.) fait grand usage de divers minéraux et roches comme éléments décoratifs : or, quartz, lapis-lazuli, agate, cuivre, jaspe… A cette époque, un vaste négoce en minéraux et roches vit et prospère en allant s’approvisionner en Orient, en Nubie, à Madagascar, …
Vers 300 avant Jésus-Christ, Théophraste, disciple d’Aristote, évoque dans son “Peri lithon”, ouvrage sur “les roches” au sens large, notamment le quartz et quelques unes de ses utilisations courantes, comme la réalisation de sceaux. Dans son “Histoire Naturelle”, Pline l’Ancien, au premier siècle après Jésus-Christ, signale quelques gisements de quartz : “Du cristal nous vient de l’Orient, il n’y en a pas de plus estimé que celui des Indes. Celui qu’on trouve en Asie, près d’Alabande et d’Orthosie et dans les monts voisins, comme de même celui de Chypre, n’est pas recherché. Par contre, on estime fort celui provenant des montagnes des Alpes. Juba raconte qu’il s’en trouve dans une île nommée Nécron, en mer rouge, et aussi dans une île voisine, associé à des topazes, d’où Pythagoras, lieutenant du roi Ptolémée, tira des morceaux de cristaux d’une coudée de long. Cornelius Bocchus affirme qu’en Lusitanie, sur les sommets d’Ammaé, on trouve des morceaux fort gros lorsqu’on creuse des puits afin de mettre les eaux à niveau…” Le monde romain appréciait particulièrement les objets taillés dans des cristaux de quartz. Il lui attribuait également des pouvoirs curatifs, de très nombreuses substances minérales étaient utilisées en protomédecine.
L’Egypte fatimide (969-1171) a produit ce qu’il y a de plus beau et de plus raffiné en matière d’art utilisant le quartz, cela jusqu’aux productions de la Renaissance. Les plus beaux objets des anciens fonds des puissants d’Europe sont principalement issus de cette production. On peut en admirer au Louvre, au musée du Moyen-Age à Paris ou dans le trésor de Saint-Marc à Venise.
Pour l’artisan et l’artiste, les minéraux et les roches sont une matière première. Jusqu’au dix-huitième siècle, l’utilisation de cabochon en bijouterie et en ornement d’œuvres d’art comme les reliquaires, la fabrication d’objets comme des coupes, des brocs, des pièces de jeux d’échecs et autres, notamment à partir de cristaux de quartz des Alpes, seront répandues dans tout le bassin méditerranéen. L’exploitation des gisements et le négoce de ces matières premières sont des plus intenses.
Les gisements de quartz des Alpes sont systématiquement exploités de manière intensive, tout particulièrement en Suisse. Un document de 1583 atteste que lorsque les habitants de Medels vendirent “l’alpe de Cristallina” au couvent de Disentis, ils se réservèrent le droit de continuer à exploiter les cristaux, matière première dont l’exploitation perdurera plusieurs siècle.
Ainsi, au Sandhalm, dans le massif de l’Aar, en 1670, un énorme filon de quartz sera exploité pendant des dizaines d’années, l’exploitation sera encore en activité en 1742, 250 métres de galerie furent creusés et neuf mille morceaux de quartz découverts. En 1719, au Zinggenstock, les cristalliers de la “Zinggische Societet” exploitèrent une cavité d’où furent sorties 50 tonnes de “Mailänderware”, cristaux de quartz de la meilleure qualité, nommés ainsi car travaillés par les artistes de Milan. Suite à cette découverte, la société demanda à payer ses impôts en nature, ce que Leurs Excellences de Berne acceptèrent… C’est ainsi que notamment trois grands cristaux furent présentés dans la bibliothèque de la ville, puis au musée d’Histoire naturelle dès sa création, les “impôts” des anciens cristalliers constituant la base de la collection minéralogique. Dans le canton d’Uri, en 1759, un décret provincial énonce que “tous les citoyens sont autorisés à déterrer des minéraux des terres communes, et quand un homme commence à creuser à une place particulière et y laisse ses outils (durant ses absences, auteur), pour un an et un jour aucune autre personne ne peut travailler à cette place“.
Dans les Alpes aujourd’hui françaises, la recherche est tout autant organisée et conséquente. En Savoie, à Doucy, une concession est exploitée vers la fin du dix-septième siècle. Des contrats datés de 1698 nous donnent les conditions d’exploitation, l’organisation de celle-ci, et le prix d’achat au poids des cristaux de quartz. Le prix est fixé par quintal de 120 livres, soit par lot de 66 kilogrammes environ, ce qui donne une idée de l’importance des quantités extraites. Ces cristaux sont exclusivement destinés aux tailleries, notamment celles de Suisse et des Etats d’Italie. D’anciens travaux du même type existe au Grand-Mont en Savoie, près d’Alberville. Des documents attestent de l’exploitation du quartz dans le massif du Mont-Blanc dès le dix-septième siècle. En 1753, un dénommé Micoud obtient le rappel de son privilège exclusif de rechercher et d’exploiter le “cristal de roche” dans le Haut-Dauphiné, par le conseil d’Etat du Roi. Le produit de l’exploitation était vendu à un orfèvre de Briançon pour être taillé.
Après Pline, hormis quelques alchimistes et lapidaires, peu de personnes en occident étudieront les minéraux, cela à travers une démarche non scientifique et sans pour autant s’intéresser à l’objet, au spécimen, en lui-même. Ces hommes étaient des hommes de science mais leur production n’était pas encore de la science. On ne connaît pas d’intérêt pour l’étude “scientifique” des minéraux ou pour leur esthétique propre avant la Renaissance. Au sens de l’historien des sciences Thomas Kuhn, le premier paradigme apparait en géologie avec Hutton, et en minéralogie avec Romé de l’Isle puis Haüy, à la fin du XVIIIème siècle.
La Renaissance, XVIème siècle, et le XVIIème siècle
La constitution de collections de minéraux et la création de vastes réseaux spécifiques d’échanges pour les approvisionner sont apparues au début du seizième siècle. En effet, ce n’est qu’à la Renaissance qu’une démarche naturaliste se crée.
Les documents de cette époque sont rares, le “Bermannus” d’Agricola, 1530, préfacé par Erasme, nous décrit la première collecte de spécimens de minéraux pour l’enrichissement d’une collection. L’usage médicinal de nombreuses substances minérales induit une multitude de réflexions et études que l’on peut qualifier de protomédecine car dépouillées de toute superstition. En 1546, Agricola publie son “De Natura Fossilium libri decem” qui est un des premiers traités de minéralogie systématique. Agricola remercie dans cet ouvrage les “gens instruits, les négociants et les mineurs qui ont été d’une grande assistance”. A cette époque, “fossilium”, du verbe latin au passé fodere, soit déterrer, s’appliquait à tout objet naturel sorti de terre, compris donc les minéraux, les roches et les fossiles au sens moderne du terme. Agricola rompit avec le mode de pensée du Moyen-Age encore présent en son temps et illustré par les travaux de Léonard de Vinci dans le codex Leicester.
De nombreux intellectuels de la Renaissance, des médecins, des hommes de lois ou de pouvoir s’intéressent aux curiosités minérales de la nature. Les “cabinets” d’Histoire naturelle apparaissent dans toute l’Europe. Ces hommes pratiquent de nombreux échanges entre eux et se fournissent aux sources, auprès des mines en particulier. Ils leur suffient de faire connaître leur intérêt pour les spécimens curieux de minerais et des propositions affluent des mineurs et des responsables de mines pour peu que quelques générosités soient au rendez-vous… Il paraît probable que les colporteurs, corporation très importante en ces temps, aient contribué à la circulation des spécimens minéralogiques, et cela dans toute l’Europe. Les marins et les aventuriers étaient également informés de la possibilité de gagner quelque argent en découvrant et ramenant les curiosités minérales de Mère Nature. Par exemple, Dampier William (1651-1715), boucanier anglais, pirate et navigateur autour du monde de son état, approvisionnait le collectionneur anglais John Woodward en minéraux et fossiles.
Haubinsack nous apprend dans sa chronique écrite vers 1570 qu’ à Sainte-Marie-aux-Mines, Alsace, “en 1530, un beau bloc d’argent natif, considéré comme un don de Dieu, (fut) détaché de la roche à l’aide de ciseaux et produisit un quintal d’argent pur. Sa Majesté l’empereur des Romains (alors Charles Quint) qui tenait à ce moment-là diète à Augsbourg, s’en vit remettre par Messire Michel Bühler deux très beaux échantillons“.
Au dix-septième siècle, il faut signaler le collectionneur compulsif que fut Rodolphe II de Habsbourg, roi de Hongrie, roi de Bohème, puis empereur du Saint Empire germanique en 1576. Il fut passionné jusqu’à la limite de la folie par ses collections qu’il voulut exhaustives en ce qui concerne les productions de la nature et des hommes. Pour l’Histoire naturelle et les minéraux, il s’attacha les services d’un humaniste, homme de sciences, médecin et physicien, Anselme Boëtius de Boodt (ca 1550-1632). Celui-ci publiera à partir de son travail sur la collection de Rodolphe II le livre majeur du dix-septième siècle en minéralogie et gemmologie, le “gemmarum et lapidum historia”. Publié en 1609, l’ouvrage sera un des livres de chevet de René Just Haüy à la fin du dix-huitième siècle. Rodolphe II ordonna la prospection systématique des gisements. En 1589, une importante patente publique demande aux sociétés minières d’envoyer toutes les pierres précieuses et semi-précieuses de Bohème à la chambre de Bohème Tchèque. En 1590, l’empereur accorde des privilèges pour la prospection de cristaux précieux à un certain Mathias Krätsch. Vers 1600, de nouveaux prospecteurs apparaissent pourvus de “lettres” autorisant la prospection dans les propriétés de l’Eglise et des féodaux. Rodolphe II aménage en 1578 un palais à Prague pour exposer ses collections de “Naturalia” et d’objets d’art, en plus de celles exposées à Munich et Ambras.
Le XVIIIème siècle, siècle des “lumières”
Au dix-huitième siècle, un important réseau de prospecteurs et de commerçants alimente les collections privées puis les collections publiques qui apparaissent peu à peu.
En Grande-Bretagne, Hans Sloane (1660-1753), mythique inventeur du chocolat au lait, constitue une très importante collection. Très actif, il achète en 1702 celle de William Courten, constituée de 10.000 spécimens, tous catalogués, qui étaient présentés depuis 1684 au public dans son musée privé à Londres. Courten avait hérité de la collection de son père et de son grand-père. Un des agents mandatés par Sloane pour l’approvisionner achète en 1711 à Leiden la collection du Docteur Hermann. A sa mort, sa collection de 80.000 spécimens et les 46.000 ouvrages de sa bibliothèque seront achetés par l’Etat Britannique qui s’en servira pour créer le British Museum en 1759. Celui-ci vendra aux enchères une partie de la collection Sloane en 1803, soit 2000 spécimens “en double”, et 1700 autres en 1816.
Une autre figure majeure de la minéralogie britannique fut le comte de Bute (1713-1792) qui réunira une collection de 100.000 spécimens.
James Smithon (1765-1829) légua au gouvernement des USA une somme colossale, soit 105 sacs de 1000 souverains en or, avec comme instruction testamentaire la création d’une institution, notamment destinée à accueillir sa collection de minéraux qu’il légua également. Le congrès américain votera en 1846 la création de la Smithonian Institution à Washington.
Le gouvernement du Portugal acheta la collection Karl Pabst Von Ohain (1718-1784), mentor de Werner, père de la géologie moderne, et l’enverra à l’université de Rio de Janeiro, Brésil.
Ces quelques exemples montrent l’importance des collections au dix-huitième siècle dans toute l’Europe et laissent entrevoir la formidable mobilisation nécessaire pour les constituer. Si Wendell E. Wilson développe de courtes biographies pour 1200 collectionneurs de minéraux actifs de 1530 à 1799 dans son extraordinaire ouvrage “The history of mineral collecting”, cet inventaire n’évoque qu’une infime fraction des personnes qui ont en ces temps collectionné les spécimens minéralogiques.
Outre la France et le Saint Empire germanique, la Grande-Bretagne fut très marquée par la passion pour les spécimens minéralogiques dès le dix-septième siècle. On possède de nombreux écrits, livres, notes, courriers sur le négoce, les collectionneurs, les collections, notamment en Cornwall, Devon, Cumbria.
Un des plus importants collectionneurs britanniques, Philip Rashleigh (1729-1811), affirma : “Les étrangers viennent dans le comté (Cornwall) aujourd’hui, et lorsqu’ils voient un spécimen qui leur apparaît joli, ils en donnent une forte somme, et les négociants ensuite pensent que toutes les choses qu’ils se procurent sont inestimables“. Les affres de la passion pour les minéraux d’un ami de Rashleigh, John Hawkins, sont illustrées par une lettre qu’il lui adresse en 1802 : “Je n’ai ajouté à peine quoique ce soit qui vaille la peine d’être mentionné dans ma propre collection. Suite à cette vérité, mes moyens maintenant que je suis un homme marié ne sont pas à la hauteur. Le prix de fait des spécimens de qualité est devenu si énorme et j’ai maintenant tant de dépenses qu’ils sont honnêtement hors de ma portée“.
Ce à quoi Rashleigh répondit dans une lettre du 01/11/1802 : “Le coût pour se procurer des spécimens a augmenté de manière si extravagante que si ma collection n’était pas si importante aujourd’hui, je ne pourrais pas commencer maintenant.”
Presque un siècle et demi plus tard, Paul Desautels énonçait ce que la postérité nomme “la deuxième loi mineure” : “Les choses ne changent guère…” Il ajoutait “Depuis 1933, tous ceux que j’ai côtoyés se sont plaints du prix élevé des spécimens minéralogiques…” La collection de Hawkins fut dispersée en 1905 à Londres, le principal acheteur de la vente fut le négociant Allemand Krantz de Bonn.
Un exemple représentatif de collectionneur de la fin du XVIIIème siècle peut être donné à travers Robert Ferguson (1767-1840), né en Ecosse dans une famille aisée. En 1793, son père l’encourage à visiter l’Europe, il est alors agé de 26 ans. Robert Ferguson fut sensibilisé à la géologie et la minéralogie par un de ses tuteurs, le célèbre mathématicien et géologue écossais John Playfair. Ferguson tint un journal relatant ses voyages et ses achats minéralogiques de 1786 à 1810, journal qui comprendra 30 volumes.
Il est en 1793 en Belgique puis à Hanovre où il visite de nombreuses collections, notamment de minéraux du Harz. Il achète en 1795 du quartz fumé du Gothard au négociant Burrel de Berne. Selon Ferguson, Burrel est “Un fameux négociant en minéraux, qui possède une splendide boutique, proposant toutes les productions de la Suisse“. A Lausane, il rencontre le chimiste Struve qui possède une bonne collection. En décembre, à Veronne, il achète des fossiles. En 1796, à Florence, il achète quelques spécimens de l’île d’Elbe, compris dans un lot plus important. En 1799, à Warsaw, il achète un lot de spécimens de Saxe, puis un lot de spécimens de Sibérie, dont une superbe malachite de Waletiki.
En 1801, une folie… A Dresde, il achète un ensemble issu de la collection du baron Peter Block (1764-1818). En tout, l’achat comprend 5.000 spécimens pour une très importante somme, £500. Et cela après avoir obtenu une réduction sur l’évaluation initiale du baron qui était de £685 ! Il achète de plus des spécimens au Docteur Titius, faisant monter les achats à £600. Il écrit qu’il prendra soin d’annoncer la chose à son père prochainement, et qu’il argumentera la dépense par la qualité de la collection et le bon prix obtenu. Il écrit : “J’espère que mon père ne me blâmera pas cette dépense extraordinaire“… Tardant à écrire, il reçut un courrier de son père qui avait déja appris la nouvelle ! Son père apprécia peu la dépense, la trouvant des plus déraisonable !
En 1802, Ferguson est de retour à Vienne, où il rencontre le Baron Block qui a acheté pour lui 74 spécimens norvégiens et suédois au négociant suédois Neppeerschmidt. Le catalogue de vente de la collection Block fut publié à Dresde en 1818. Elle fut achetée par le Royal Museum à Dresde.
En tout, Ferguson expédia en l’Ecosse cinq caisses comprenant la collection Block et 12 autres comprenant ses différents achats européens entre 1796 et 1803. L’envoi de ces 12 caisses est estimé à £815, un document détaillant avec précision le contenu des caisses nous informe. Une estimation des différents envois qu’il fit pour lesquels nous avons un catalogue totalise £1275, une évaluation de cette somme aujourd’hui pourrait être 170.000 Euros !!! Un entrée anecdotique dans la collection est à noter : le 15 juillet 1828, John Henry Heuland lui adresse un courrier au sujet de l’envoi d’une apophyllite de Poona, Inde…
La collection fut gardée par les descendants de Ferguson jusqu’en 1997. Elle fut dispersée à travers quelques négociants. L’ensemble totalise alors 4.500 spécimens, dont 2% peuvent être considérés comme excellents et 35% bons eu égard aux “standards” actuels.
Toutes ces grandes collections n’ont pu se créer qu’en symbiose avec un puissant et vaste réseau d’approvisionnement. Les spécimens et les collections voyagent… Pour paraphraser Lavoisier, géologue, lui-même collectionneur, et surtout très impliqué ainsi que ses disciples dans les débuts de l’analyse chimique des minéraux à la fin du dix-huitième siècle, aucune collection ne se crée, aucune ne se perd, toutes se transforment : dispersion d’une collection, intégration des spécimens dans d’autres, vie des collections, …
La pérennité des collections est d’ailleurs assurée par la possibilité de “recyclage” des spécimens dans d’autres ensembles, cela par l’intermédiation d’un marché actif et dynamique. Qui négligerait ou malmènerait un ensemble patrimonial ayant une valeur financière connue ?
A la fin du dix-huitième siècle, de nombreuses boutiques spécialisées en Histoire Naturelle existent dans toutes les grandes villes d’Europe. Notons plus particulièrement celle de John Lavin, associé au “Lavin’s Museum” à Penzance (Cornwall), au style égyptien unique. Un autre négociant anglais, John Mawe, est mandaté par le roi d’Espagne pour réunir une collection de minéraux anglais. Puis, comme minéralogiste pour le roi du Portugal, il passera les années 1804 à 1810 au Brésil pour y collecter des spécimens. Mawe reviendra dans son pays natal où il s’occupera encore de minéralogie, contribuant entre autres choses à la connaissance de l’apatite et de la tourmaline en Devon. Il possédait une boutique à Covent Garden à Londres et disposait d’un stock de 20.000 spécimens en 1800. Après sa mort, celui fut acheté par le négociant James Tennant ( 1808? – 1881).
Le négociant et collectionneur anglais Jacob Forster (1739-1806) possèdait une boutique à Londres ouverte en 1789, tenue en ses absences par sa femme. Son frère Ingham Henry Forster (1725-1782) gérait une boutique à Paris, et Jacob Forster possèdait également un pied à terre à St Petersbourg. Il y séjournait de façon régulière et prolongée car il achètait et vendait d’importantes quantités de spécimens en Russie. Il vendit d’ailleurs en 1802 une collection de 1139 spécimens à l’Académie des Mines de Saint-Petersburg pour 50.000 roubles. Il fut courtier en spécimens minéralogiques pour le roi d’Espagne Carlos IV et obtint de ce dernier l’octroi de la concession des mines de sulfure à Cadiz afin d’en extraire des spécimens de collection. C’est très probablement la première mention de l’exploitation d’un gisement uniquement pour alimenter le marché des spécimens de collection. A titre d’anecdote, Jacob Forster vendit en 1800 à Wollaston des pépites de platine en provenance du Brésil, qui permirent à Wollaston de découvrir le palladium.
A Paris, d’importantes ventes aux enchères de minéraux sont organisées par Jacob Forster en 1769, 1772, 1780, 1783. D’autres négociants font de même et de très nombreuses autres ventes dispersent des collections. Ingham Henry Heuland organisa une importante vente en 1760 à Paris.
De très complets catalogues sont réalisés pour ces ventes, ceux de Jacob Forster furent réalisés par Romé de l’Isle.
Romé de l’Isle avait comme principale activité la réalisation de catalogues de collection et de vente, il en réalisera au moins quatorze. Ce scientifique est un des pères de la cristallographie moderne. Il fut initié à la minéralogie par Balthazar Sage, créateur de l’École des mines de Paris.
Une des premières réalisations de Romé de l’Isle fut la rédaction en 1767 d’une partie du catalogue de vente des collections de Pedro Franco Davila, un péruvien, citoyen espagnol résidant un temps à Paris. Les ventes aux enchères de collection de minéraux ne se comptent plus en cette fin du dix-huitième siècle. Celle de Davila comprenait 16.000 spécimens minéralogiques, 8.096 catalogués et environ 8.000 non décrits, le catalogue comportant en tout 40.000 objets. A titre d’exemple, Davila possédait soixante-huit spécimens de la vallée de Sainte-Marie-aux-Mines, Alsace. Parmi les acheteurs, notons les minéralogistes Sage et Daubenton, le géologue Desmarest, les économistes Turgot et Quesnay, les architectes Belanger et Morel. Davila se constitua une deuxième collection de 8.200 spécimens. Elle fut échangée en 1771 à l’Etat espagnol contre une pension fort conséquente et un hôtel particulier.
De nombreuses et parfois très riches collections furent créées puis vendues à cette époque. La collection de 12.000 spécimens de René Just Haüy, autre père de la cristallographie moderne, fut vendue en 1814 l’équivalent de plusieurs millions d’euros à Richard Grenville, Duc de Buckingham. Elle séjourna en Angleterre avant d’être rachetée en 1848 pour le Musée National d’Histoire Naturelle à Paris.
Le neveu de Jacob Forster, John Henry Heuland, reprit les affaires de son oncle et organisa en 1808 la vente de son stock. Celui-ci fut vendu dans ce qui reste certainement la plus importante vente aux enchères de minéraux de l’histoire avec 5860 lots. Une partie de la collection Jacob Forster fut vendu en 1820 à Charles Hampden Turner, qui vendit par la suite sa collection à Henry Ludlam (1822-1880). Ce dernier offrit sa collection pour partie au musée national d’Histoire naturelle à Londres et pour partie au musée de géologie pratique à Londres.
John Henry Heuland devint un extraordinaire négociant, avec une conception très actuelle de ce qu’est un “bon” spécimen. Il apporta par exemple au musée d’Histoire Naturelle de Londres des spécimens français majeurs : suite d’azurite de Chessy, macle de La Gardette, etc. Il fournit également l’École Nationale des Mines à Paris. A la mort du Physicien Delaméthérie (1743-1817), il acheta et dispersa sa collection. Il fit de même en 1826 en achetant une importante série de spécimens de la collection De Drée. De Drée avait déjà vendu une première série de spécimens lors d’une vente aux enchères en 1816, le catalogue fut alors rédigé par Lacoste. Une troisième vente De Drée permis à L’Ecole Nationale des Mines à Paris d’acheter une série de 12 à 15.000 spécimens pour 215.000 francs en 1845 (incluant une partie des spécimens de Dolomieu).
Le père de John Henry, Christian Heuland, fut lui-même négociant. Il se risqua à des expéditions de collecte de spécimens au Pérou et au Chili vers 1795-1800. De nombreux musées du monde entier et collections privées possèdent aujourd’hui des spécimens qui ont un jour appartenu à Forster ou Heuland. L’Agence des Mines, qui précéda l’École Nationale de Mines à Paris, a, par exemple, reçu en 1796 la majeure partie de la collection Boutin, Trésorier général de la Marine. Sa collection était constituée principalement de spécimens achetés lors de la vente Jacob Forster de février 1783. Le Natural History British Museum possède tous les catalogues de vente de John Henry Heuland. Cet ensemble représente une masse très importante de documents, et une source d’information unique.
Une autre source d’informations des plus précieuses nous vient du comte d’Angivillier qui rédigea un “Mémoire des minéraux, mines métalliques et demi-métaux, cristaux, spath et autres matières minérales, achetés pour le Cabinet d’Histoire Naturelle de sa Majesté, dans les années 1776, 1777, 1778 et 1779”. D’Angivillier engagea 15.000 livres en quatre ans pour l’achat de 226 spécimens, très bien décrits dans le mémoire. Fut également achetée en 1802 la très belle collection du viennois Weiss, comprenant un excellent fond de spécimens d’Europe centrale. On a par la même une bonne illustration de ce qu’il y avait alors de disponible sur le marché : ors cristallisés de Transylvanie, de 100 à 300 livres, pyromorphite décrite comme “grande mine de plomb verte de Fribourg” à 300 livres, spécimen de crocoïte de Sibérie, rares et recherchées, de 240 à 300 livres, stibine des mines des environs de Cavnic en Roumanie, 200 livres, topaze de Saxe, 72 livres, trois spécimens de calcite d’Angleterre, de 7 à 126 livres, grenat de Bohème, 24 livres, amalgame du Palatinat “cristallisée en octaèdre”, 72 livres, proustite de Freiberg en “gros cristaux polygones”, 36 livres, etc.
Il est à noter que les spécimens de quartz des Alpes et les stibines du massif central sont des plus répandus dans les collections de l’époque. Nous savons également par le chimiste Vauquelin que les spécimens de crocoïte de la mine d’or de Berezov près d’Ekaterinburg, vers 1798, se vendaient au poids de l’or…
La découverte des calcites de la forêt de Fontainebleau en 1774 provoqua un engouement tel que Lassonne écrit en 1775 que de très nombreuses personnes voulurent “en posséder quelques prix que ce fût“, et on doit les plus beaux spécimens des musées d’aujourd’hui à cette mode.
Toujours en France, l’américain Gibbs achète en 1804 à la mort de Gigot d’Orcy, guillotiné en 1781, sa collection de 4.000 bons spécimens, assemblée pendant 40 ans et mise en vente par le sœur de celui-ci. Le catalogue de la collection se trouve à à Yale, USA, suite au don de Gibbs de sa collection. De nombreux spécimens de la collection Gigot d’Orcy figurent dans le merveilleux ouvrage richemment illustré de Fabien Gautier d’Agoty publié à partir de 1781. Gibbs achète également une collection assemblée par De Bournon ainsi qu’un ensemble issu de la collection Razumovsky. Il embarque l’ensemble de ses achats en Europe vers les USA en 1805.
Dans tout l’Europe, le marché des spécimens minéralogiques est tout aussi actif. Par exemple, au Pays-Bas, Martinus Van Marum pour le musée Teylers de Haarlem acheta en 1790 trois spécimens de malachite de Russie, qui au regard des “standards” actuels serait considérés comme médiocre, mis à part l’originalité du gisement. Il déboursa plus pour ces spécimens que le musée pour acquérir à la même époque une collection de plusieurs centaines de dessins des grands maîtres italiens de la Renaissance, tel que Michel-Ange et Raphaël, ayant appartenu à la Reine Christine de Suède. Van Marum fit de très nombreux achats aux négociants Jacob Forster et Henry Heuland afin de développer son musée.
Un pharmacien de Vienne, Scharinger, à la fin des années 1790 acheta aux frères Johann et Franz Morgenbesser, fameux négociants viennois, une collection pour 7.000 florins-or. En Autriche, à la fin du XVIIIème siècle, de très nombreux négociants opèrent, on peut citer Johann Weiss, Bernhard Dussolt, les frère Simon, Georg Preschern, les frère Mohr, ou encore Barcigli, Nepperschmidt, Kollman, Montageraud, Pauer, Thaleaker, Zaberschnigg, Launois, Norbert Muraweck, Steiger, etc.
Le richissime banquier viennois Jacob Van der Nüll achètera pas moins de onze importantes collections de 1797 à 1807, qui s’intégreront à la sienne, principalement constituée de spécimens dit “de cabinet” (5 à 10 cm d’envergure). Il fut assisté dans ses achats et dans la gestion de sa collection par le fameux minéralogiste Friedrich Mohs (1773-1839).
L’intérêt porté à la minéralogie amena logiquement une innovation à remarquer : la création de la première revue pour minéralogiste et collectionneur en 1807. Elle fut créée par Karl Von Leonhard (1779-1862). Celui-ci fut professeur de minéralogie à Heidelberg et un ardent promoteur de la minéralogie auprès de la communauté amateur. La revue fut publiée jusqu’en 1824. Notons dans cette publication de nombreuses publicités pour la vente de spécimens ou même de collections entières.
Si Goethe fut l’écrivain et le poète que l’on connaît, il fut aussi chercheur en Sciences naturelles, et collecteur-collectionneur de spécimens minéralogiques (1599 numéros à l’inventaire, collection générale de 18.000 spécimens en sciences de la terre). En 1779, Goethe est à Chamonix où il achète des cristaux. Peut être rencontra-t-il Jacques Balmat, alors âgé de 17 ans, déja un fameux cristallier, qui, en tant que tel, est un des pionniers de l’alpinisme, comme de nombreux chercheurs de cristaux. Il fut le premier à gravir le Mont-Blanc avec Paccard en 1786. Balmat fournit en spécimens De Saussure, Dolomieu, De Drée, Beudant, Brochant de Villier, Cordier.
Dans son “Voyage en Suisse”, Goethe narre son périple de 1797. Il nous décrit ses collectes de minéraux et ses achats : à “l’hospice” du col du Gothard, “La cuisinière nous a proposé des minéraux et nous a montré une grande quantité d’adulaires, en nous racontant où elle les avait pris. Comme la mode des minéraux change ! On veut d’abord des cristaux de quartz, puis des feldspaths, puis des adulaires, et maintenant du schörl rouge [rutile]”. Goethe possédait plusieurs spécimens de Sainte Marie-aux-Mines, notamment deux spécimens de smaltite et un spécimen d’aragonite coralloïde. Il possédait aussi, en autres, des spécimens des mines des Chalanches et de La Gardette en Isère, de Chessy, Rhône, et même des carrières de Montmartre ! Sa collection, de nos jours intacte, est conservée à Weimar, Allemagne.
Il est toujours de coutume en cette fin du dix-huitième siècle de récolter dans les mines de “beaux spécimens de cabinet” afin de les vendre aux naturalistes, suivant en cela une tradition issue des compagnies minières du Saint Empire germanique.
A Sainte-Marie-aux-Mines, en Alsace, selon Antoine Grimoald Monnet, “En 1770, on trouva une grande quantité de terre molle, ou ce que les mineurs appellent gur d’argile ou letten, dans laquelle on découvre environ 60 marcs d’argent vierge, sous forme de filets entortillés les uns autour des autres et formant des pacquets, ou de petites branches fort fines. On n’eut que la peine d’emporter par le lavage cette terre et d’en séparer l’argent, qu’on vendit presqu’entièrement aux amateurs d’histoire naturelle…“. Vers 1772, Monnet (1734-1817) vend de petites collections portables, accompagnées d’un catalogue imprimé, pour 150 livres. Mühlenbeck rapporte que l’on découvrit en 1772 dans la mine “Glückauf”, toujours en vallée de Sainte-Marie-aux-Mines, “De l’argent natif arborescent d’une telle beauté qu’on ne le fondit point, mais qu’on le vendit tel quel“. Nous savons par Reber que Beysser, curé luthérien de Mietersholz, ancien ministre de Sainte-Marie, et Mathieu des Essards, procureur du roi au siège prévôtal de cette même ville, collectaient des spécimens, et correspondaient avec Buffon et Nollet. Des Essards fournissait en spécimens le cabinet du roi Louis XVI.
Cette tradition est apparue tardivement en France par rapport au Saint Empire. Si Monnet écrit à la fin du dix-huitième siècle que vers 1758 “On obtint ces beaux morceaux qui ont fait l’admiration des minéralogistes et qui se trouve encore dans quelques cabinets“, notamment “celui de l’empereur François“, il regrette qu’auparavant les découvertes de minerai riche, et plus particulièrement cristalisé, ne suscitaient pas d’intérêt. On appelait ces minerais “Les enrichisseurs de fonte, car comme alors le goût des cabinets de minéralogie n’était pas encore né ou qu’il n’y avait encore que très peu d’amateurs en ce genre, les morceaux étaient confondus parmi les autres et jettés sans distinction dans les fourneaux à manche avec du minerai de plomb“.
Lors de l’exploitation infructueuse de la mine d’or de La Gardette (Isère) commencée en 1781, le directeur Schreiber fit récolter et vendre “Les échantillons instructifs pour leur valeur intrinsèque ou selon leur beauté pour en verser le montant dans la caisse de la mine“. Bordeaux nous dit que “la dépense totale durant les sept années d’exploitation se monta à 30.282 livres tournois, et la recette en or et (principalement, auteur) en cristaux de roche ne fut que de 7662 livres“.
En 1831, Emile Gueymard ajoute que “Depuis 1788 jusqu’à ce jour, il n’y a eu que quelques fouilles insignifiantes, continuées par des mineurs qui font le commerce des minéraux au Bourg d’Oisans. L’appât de la découverte d’un filon riche les a conduits à faire jouer la mine, mais toujours sans résultat. Ils ont plus trouvé d’échantillons dans les débris de l’ancienne exploitation que dans les puits ou galeries“.
Lors de la reprise de l’exploitation en 1838 par une société ayant M. May comme gérant, “Le principal revenu fut la vente des échantillons d’or libre et de quartz hyalin, pour les collectionneurs et les musées” (Bordeaux).
Dans les cas présents, le produit de la vente de spécimens minéralogiques était un sous revenu de l’exploitation minière, ce qui a permis la conservation entre autres de très nombreux et fameux spécimens de quartz. Cette tradition s’est malheureusement perdue en France, elle aurait pu permettre la préservation d’innombrables spécimens lors des exploitations minières des années 1950-1980. Seuls les concasseurs en ont profité…
Le XIXème siècle
L’événement qu’a représenté dans l’imaginaire de la population de l’Oisans (Isère) l’exploitation d’une mine d’or a induit une fouille frénétique des montagnes. Cette prospection se faisait depuis des temps immémoriaux afin de découvrir des cristaux de quartz pour les tailleries. Cette intense activité permit la découverte de nombreux nouveaux minéraux. En effet, certains comme Schreiber enseignèrent qu’il y avait plus et plus sûrement à gagner en cherchant et en vendant des spécimens pour les “cabinets” qu’en fantasmant sur une hypothétique mine d’or.
A la fin du dix-neuvième siècle, Alfred Lacroix fut professeur au Muséum à Paris et conservateur de la collection de minéralogie. Il fréquenta assidûment ainsi que le minéralogiste Groth un prospecteur en spécimens de cabinet de l’Oisans, Isère, Napoléon Albertazzo. Celui-ci passa sa vie à chercher et à vendre des minéraux. Lacroix se réfère abondamment à ce personnage et à ses découvertes dans sa “Minéralogie de la France”. Il lui a rendu de nombreuses visites et a pu bénéficier d’excursions minéralogiques guidées, ainsi que de nombreux dons. Le colonel Vésignié, fameux collectionneur de la première moitier du XXème siècle connu lorsqu’il était jeune Albertazzo. Vésignié, ou plutot les parents de Vésignié, firent des achat à Albertazzo plusieurs années de suite lors de séjours en Oisans. Notons l’achat en 1883, d’une axinite de la combe de la Selle, 5F, en septembre 1886 d’un spécimen d’anatase, 3F, de bournonite de Saint Pierre (de Mésage ou d’Allevard ?), 3F, en 1891 d’anatase, 10F, d’un spécimen d’albite sur quartz de La Gardette, 4F, d’un quartz en macle de La Gardette, 12F, d’une “plaque de nombreux cristaux” de la Gardette, 180F, d’une épidote du Cornillon sur quartz, etc. A la même époque, Vésigné achète des spécimens à d’autres cristalliers, comme à un certain Laurent de La Grave ou à un hôtelier de cette même ville (achat d’une chalcopyrite avec quartz en juin 1908 pour 40F).
Lacroix dans sa “Minéralogie de la France” signale l’axinite dans les Pyrénées dès 1893. Il témoigne de découvertes faites en 1793 par Picot de Lapeyrouse et Dolomieu au pic d’Eres lids. Ces découvertes entraînent l’exploitation des gisements, et déjà la commercialisation de spécimens, ce qui en permet la diffusion, l’étude et la préservation dans diverses collections.
En 1834, Horace-Bénédict de Saussure nous détaille l’activité des cristalliers de la fin XVIIIème / début XIXème siècle dans le massif du Mont-Blanc : “La recherche du cristal et la chasse sont les seuls travaux qui soient demeurés le partage exclusif des hommes. Heureusement on s’occupe beaucoup moins qu’autrefois du premier de ces travaux ; je dis heureusement, parce qu’il y périssait beaucoup de monde. L’espérance de s’enrichir tout d’un coup, en trouvant une caverne remplie de beaux cristaux, était d’un attrait si puissant, qu’ils s’exposaient dans cette recherche aux dangers les plus affreux, et qu’il ne se passait pas d’année où il ne perît des hommes dans les glaces ou dans les précipices. Le principal indice qui dirige dans la recherche des grottes ou des fours à cristaux, comme ils les appellent, ce sont les veines de quartz, que l’on voit en dehors des rochers de granit ou de roche feuilletée. Ces veines blanches se distinguent de loin et souvent à de grandes hauteurs sur des murs verticaux et inaccessibles. Ils cherchent alors ou à se frayer un chemin direct au travers des rochers, ou à y parvenir de plus haut en se faisant suspendre par des cordes. Arrivés là, ils frappent doucement le rocher, et lorsque la pierre rend un son creux, ils tâchent de l’ouvrir à coups de marteaux, ou en la minant avec la poudre. C’est là la grande manière ; mais souvent aussi des jeunes gens, des enfants même vont en chercher sur les glaciers dans les endroits où les rochers se sont nouvellement éboulés. Mais soit que l’on regarde ces montagnes comme à peu près épuisées, soit que la quantité de cristal que l’on a trouvée à Madagascar ait trop rabaissé le prix de cette pierre, il y a très peu de gens pour ne pas dire personne à chamouni, qui en fasse son unique occupation. Ils y vont de temps en temps comme à une partie de plaisir“.
De ce texte, retenons que les cristaux ne sont plus recherchés pour les tailleries car la concurrence de la production de pays étrangers est trop vive, mais que le marché des spécimens de collection est des plus actif. Le recours à l’explosif est des plus banal pour ouvrir les “fours” à cristaux. On nomme “cristallier” en France, “Strahler” en Suisse, la personne qui recherche des spécimens de minéraux dans les Alpes pour en faire le commerce.
Un cas historique majeur d’exploitation d’un gisement pour l’exploitation commerciale de ses spécimens minéralogiques est celui des tourmalines de l’île d’Elbe. La première prospection fut faite au mont Capanne en 1825 par le lieutenant Giovanni Ammannati. Après sa découverte de la fameuse veine de pegmatite de la “Grotta d’Oggi”, il en acheta le terrain et l’exploita pour les spécimens de cabinet. Un autre militaire, le capitaine Pisani exploita la veine dite “Speranza” près de San Pierro in Campo. Le Natural History British Museum possède de nombreux spécimens de ces découvertes.
Au Royaume-Uni, dans les Pennines du Nord, aux environs d’Alston, il existe une tradition de collecte des spécimens minéralogiques vielle de plus de deux siècles. La période la plus faste correspond à l’ère Victorienne et à son obsession pour la collection (vers 1820/1850). Les spécimens de cette période sont extrêmement répandus dans les musées. La collecte des spécimens par les mineurs était une pratique courante et même institutionnalisée, les exploitants considéraient cette pratique comme faisant partie du métier de mineur. Nall en 1888 nous indique qu’un spécimen d’un minéral plutôt rare, l’alstonite, pouvait se négocier cinq livres, plus qu’un mineur pouvait gagner en un mois.
De très nombreuses boutiques existaient dans le pays, et les mineurs recevaient les clients à leur domicile. La possibilité de s’approvisionner en beaux spécimens était si connue qu’en 1889, alors que l’exploitation minière est sur son déclin, le négociant américain Charles Pennypacker vint dans la région, et le collectionneur et négociant William Jefferis en fit autant peu après.
Dans les années 1970, un groupe de collectionneurs et de négociants mené par le fameux négociant Richard Barstow fouillèrent de nombreuses mines du district d’Alston Moor. Le négociant Lindsay Greenbank fit de même dès les années 1980. Ces explorations permirent de découvrit de nombreux et exceptionnels spécimens minéralogiques. Cela contribua à l’étude de la minéralogie de la région, à de préciser ou définir la provenance des “vieux” spécimens, ou à découvrir de nouvelles espèces. La collection Barstow est maintenant au Plymouth Museum.
Quelques anecdotes concernant la collection de minéralogie de la Sorbonne sont particulièrement intéressantes. Par exemple, François Sulpice Beudant signe le 23 février 1823 une facture pour l’achat de 1.146 spécimens, pour 5.526 francs 50 centimes. Cette somme correspond à la quasi totalité des crédits de la Faculté des Sciences ! Gabriel Delafosse, son successeur, fit acheter la collection du genevois Jurine qui possédait une collection de 4.000 spécimens. La collection fut expertisé par Des Cloizeaux. Le prix demandé, 20.000 francs, nécessita l’intervention du Ministre de l’instruction publique auprès de la Chambres des Représentants afin d’obtenir le crédit nécessaire.
A une réunion de la société minéralogique de Londres, en 1883, un magnifique spécimen de stibine d’Ichinokawa fut présenté par le négociant Londonien Samuel Henderson. Ce spécimen est aujourd’hui présenté au Musée Britannique d’Histoire naturelle et reste un des meilleurs spécimens de l’espèce, si cela n’est le meilleur. On peut penser que ce spécimen ainsi que les autres spécimens de ce célèbre site furent dispersés par le docteur Koreshiro Wada, chef du service géologique du Japon, fameux collectionneur. Il fit un voyage officiel en Allemagne en 1884, ou les négociants dynamiques étaient très nombreux en ces temps.
A noter en cette fin du dix-huitième siècle, l’existence d’une revue spécialement dédiée aux collectionneurs de minéraux aux USA, “The mineral collector”. En dessous du titre de la revue, on peut lire : “Voué aux intérêts des collectionneurs, des étudiants, des négociants et des exploitants miniers de spécimens minéralogiques“. Ce magazine est paru de 1894 à 1909.
Le XXème siècle
Le vingtième siècle minéralogique commença on ne peut plus brillamment, en l’occurrence par l’exposition universelle de 1900 à Paris, qui fut tout simplement “Le plus grand événement minéralogique de tous les temps“, pour reprendre l’expression de Wendell E. Wilson. D’extraordinaires collections furent présentées par de multiples pays : série d’ors et autres minéraux d’Australie, fabuleuse série du Boleo, Mexique, avec ses cumengeites et boléites, minéralogie méconnue du Japon avec les collections Wada et Ogawa, argents natifs extraordinaires de Kongsberg, Norvège, nombreuses collections des Etats Unis, dont une de gemmes et roches d’ornement présentée par Tiffany. L’Autriche et la Hongrie présentent de fabuleuses collections, avec des halites cristallisées des mines de Wieliczka en Pologne, des ors de Transylvanie et des “classiques” des Maramures, collection remarquable des richesses de l’Oural présentée par la Russie, le Danemark présente des spécimens du Groenland, etc.
Les spécimens voyagent toujours autant en ce début du vingtième siècle. Certains ensembles présentés lors de l’exposition seront dispersés, d’autres offerts à des institutions publiques, certains vendus à des négociants, d’autres sont achetés par de généreux et riches mécènes comme A. E. Seaman qui acheta la série de minéraux présentée par la Foote Mineral Compagny pour l’offrir à la Michigan School of Mine. Lors de l’exposition universelle de Paris de 1867, la collection rassemblée par Henry Howe de Nouvelle Ecosse fut achetée par le gouvernement de cet état pour le musée d’Halifax.
D’autres mécènes interviennent en minéralogie, achetant et faisant voyager les collections. Ainsi, Pierpont-Morgan en 1902 offre au Muséum à Paris la collection de minéraux américains réunie pour l’exposition panaméricaine de Buffalo de 1901. Une autre collection exposée lors de l’exposition universelle de Saint-Louis de 1903 sera achetée et offerte en 1905. Son fils fera don d’une troisième série de spécimens en 1912. Pierpont Morgan acheta aussi en 1900 la meilleure collection américaine de la fin du dix-neuvième siècle, en l’occurrence la collection Clarence S. Bement, afin d’en faire don à l’American Museum.
D’autres importantes collections américaines ont rejoint des institutions publiques, comme la collection Frederick A. Canfield et la collection Washington A. Roebling qui offertes en 1926 à la Smithsonian Institution, permettent à ce musée de présenter un des meilleur ensemble minéralogique au monde. La collection Vaux, quant à elle, est donnée à l’Académie des Sciences naturelles de Philadelphie. Celle de Georges Gibbs, fut vendue au “Yale college” en 1825 pour 20.000 dollars, et celle de William Jefferis au Carnegie Museum en 1904. La collection de Hidden William Earl, principalement constituée de spécimens de Caroline du Nord, fut achetée en 1889 par le muséum de Vienne, Autriche.
Certaines collections font le voyage d’est en ouest. Ainsi, la collection des minéraux de l’or du français Georges de la Bouglise fut achetée en totalité par Albert C. Burrage, de Boston, Massachusetts, lors d’une vente aux enchères organisée par le négociant parisien Alexandre Stuer, le 14 décembre 1911. C’est un retour aux origines pour certains spécimens. En effet, Georges de la Bouglise fut le plus important acheteur lors de la vente de la collection A. Dohrmann, de San Francisco, en décembre 1886 à Philadelphie, Pennsylvanie. Burrage fera don de sa collection au musée de minéralogie de l’université d’Harvard en 1948.
Toujours dans la première moitié du vingtième siècle, d’actifs négociants continuent de fournir d’importants collectionneurs. En France, Louis Vésignié (1870-1954), polytechnicien, colonel d’artillerie, constitua une collection de plus de 40.000 spécimens, dont une partie fut léguée au Museum à Paris, une autre lui fut vendue et une troisième fut offerte à La Sorbonne (Paris VI-Jussieu).
La collection du colonel Vésignié est bien connue par son catalogue. Il nous apprend que Vésignié a commencé très jeune la collection, et que son entourage lui achetait régulièrement étant enfant des minéraux. En 1889, il reçoit par exemple une chalcocite de la mine de Cap Garonne dans le Var, mine qui est régulièrement échantillonnée par les collectionneurs ou les négociants, ou en juillet 1886, sa mère lui achète une cuprite de Chessy.
Dès les années, 1910, Vésignié développe sa collection à partir d’achat très régulier et abondant à quatre ou cinq négociants principalement, et exceptionnellement à un douzaine d’autres, plus des achat en salle des ventes ou selon les occasions (foire commercial ou industrielle). Il acheta par exemple pendant des années tous les mois des dizaines de spécimens à Deyrolle, Boubée, Stuer ou encore Demarty. Il achète également abondamment à Dumas de Toulouse ou Carrière à Nîmes. Moins régulièrement, il fait des achats à Tragnaud (Toulouse), Foote (Paris), Ward à Rochester (USA), Palumbo (Rome), Richards (Londres), Krantz (Bonn), Maucher (Munich), Böhm ou Reidl (Vienne), à “La compagnie Minière Suisse”, etc.
En France, signalons également pour la première moitié du XXème siècle les collectionneurs Jean Béhier (1903-1963), avec une collection de 5.000 spécimens commencée vers 1925 et poursuivie jusque 1963, François Alluaud (collection constituée sur plusieurs générations), Prosper Didier (1859-1949), ou encore Jean Chervet (1903-1964), minéralogiste au CEA après la seconde guerre mondiale, le Marquis de Mauroy, le comte De Limur en Bretagne.
Les négociants fournissent également le système éducatif : collèges, lycées, universités, grandes écoles, écoles des mines… Notons parmi bien d’autres plus particulièrement le comptoir central d’Histoire Naturelle Nérée Boubée, maison fondée en 1845 sous la raison sociale Eloffe et cie. Etaient également particulièrement actif Alexandre Stuer à Paris, l’établissement Rollet et Cie, “minéralogiste exploitant mines depuis 1920” à Lyon, le Comptoir National des Minéraux à Moulin, le comptoir Deyrolle, rue du Bac à Paris, avec qui Jacques Geffroy échangea en 1936 des minéraux de Sainte-Marie-aux-Mines qu’il venait de découvrir. Geffroy, qui devint une figure du C.E.A, garda toujours un souvenir ému du minéralogiste de l’établissement, Charles Boewe.
Citons encore la boutique de Venance Payot “Au cristal de roche” à Chamonix, ou encore Le Comptoir Géologique et Minéralogique du Plateau Central de Joseph Demarty à Chamalières. Ce dernier est l’auteur de nombreuses publications sur la minéralogie et la géologie du centre de la France. Il est également l’un des pionniers de l’étude des minéraux et gîtes uranifères suite à d’actives prospections dès le début du vingtième siècle. Il publiera par exemple cinq petits documents sur le radium en Auvergne vers la fin des années 1920.
Ainsi, à partir d’un négoce de “matières premières”, soit pour des utilisations pratiques (obtention de métaux, usage médicinal, …), soit pour l’art et la bijouterie, s’est individualisé et développé un commerce pour les spécimens minéralogiques. D’innombrables spécimens ont pu être préservés par l’intérêt que suscite leur beauté et par la passion des collectionneurs.
Article publié avec l’aimable autorisation de l’auteur, Frédéric Delporte.