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Cueilleurs de cristaux et prospecteurs de minéraux

La dernière affaire en date, celle dite « des mines de l’Oisans (Isère) », n’est qu’une des multiples conséquences de l’imbroglio législatif dénoncé par différents acteurs, amateurs ou professionnels, de la géologie. Au printemps 2005, d’importants effectifs de gendarmerie ont été mobilisés pour l’interpellation d’une dizaine de personnes. La collecte et le commerce de minéraux sont-ils illégaux ? Non pourtant.

La journée est rythmée par le fracas des éboulis provoqués au moindre pas. Pas un randonneur à l’horizon. L’Oisans se couche. Les deux cristalliers ont prospecté, en vain, dans le massif à la recherche de préhnite. Le minéral qui n’a rien d’exceptionnel à première vue. Seule sa rareté fait ici son intérêt. Nuit sous la tente à 2000 m d’altitude. Réveil au soleil levant. Une mer de nuage s’étend dans la vallée en contre bas. Les pierres roulent sous des pieds encore un peu engourdis.

Fluorine rose, Quartz fumé, L’Aiguille Verte, Chamonix, Massif du Mont-Blanc, Haute-Savoie.
Fluorine rose, Quartz fumé, L’Aiguille Verte, Chamonix, Massif du Mont-Blanc, Haute-Savoie.

C’est parti pour une nouvelle journée de prospection, sans être sûr de rien : « Parfois, on passe des jours et des jours sur un chantier sans trouver un seul cristal à la fin ». Mais a contrario, « une fois, après seulement deux jours de travail, on est tombé sur une poche à cristaux mûre : il n’y avait qu’à ramasser à la main les pièces détachées naturellement ! » témoigne Greg.

Pour une fois de beaux pétales de sidérite, des retours bredouilles pour bien d’autres. Mais pour l’instant, c’est le piolet qui gratte, les pieds, les mains et les yeux qui travaillent : en quête de filons minéralisés, de faille où se glisser, d’éboulis à inspecter et de tout ce qui peut constituer un indice sur la présence éventuelle de cristaux.

Cristalliers dans le massif du Mont-Blanc.
Cristalliers dans le massif du Mont-Blanc.

Histoires de prospection

Jumelles en mains, Sylvain inspecte la prochaine pente à explorer, pendant que Greg se plonge dans la carte géologique du massif. Ils ne partent jamais de rien. « Il y a toujours au départ soit une bibliographie, des discussions avec des collectionneurs, soit une recherche personnelle, l’étude des cartes géologiques… On ne part pas directement sur le terrain, sans avoir repéré des secteurs propices a priori ». Une étape où des connaissances en géologie, doublées de notions en histoire locale s’avèrent précieuses, voir indispensables.

L’Oisans, bien que prospecté depuis des siècles, reste un terrain de choix. Son ancienneté, géologiquement parlant cette fois, explique sa richesse en minéraux variés : une vieille histoire de fluides à des températures différentes qui traversent la zone lors de multiples phases de formation. Quartz, axinite, épidote ou préhnite ainsi issus des profondeurs sont mis à jour au fil des millénaires par l’érosion. Les flancs de montagne, et notamment les plus érodés et donc instables, sont des terrains de prospections classiques.

Quartz Gwindel, L’Aiguille Verte, Chamonix, Massif du Mont-Blanc, Haute-Savoie.
Quartz Gwindel, L’Aiguille Verte, Chamonix, Massif du Mont-Blanc, Haute-Savoie.

Mais carrières, mines et différents lieux de travaux publics peuvent également être l’occasion de sauver in extremis des cristaux promis à destruction. Ce qui peut donner lieu à des prospections particulières.

Récemment, Sylvain a ainsi passé plusieurs jours à suivre les travaux d’une station de ski de l’Isère. Repérage dans les gravats, surveillance jour après jour de l’avancée des bulldozers… Au quatrième jour, une poche à cristaux ne semble plus très loin. Dès la fin du ballet des engins de chantier, S. se met à jouer du marteau et du burin. Après des heures de sueur et de poussière, patience et efforts portent leurs fruits sous la forme de fantastiques pièces de quartz.

Four à cristaux, massif du Mont-Blanc.
Four à cristaux, massif du Mont-Blanc.

Déblayage et nettoyage

Après la trouvaille, l’extraction et la redescente des minéraux sont des moments délicats. « Le but c’est de dégager les cristaux intacts. Et si tu n’as pas d’expérience, dans certains cas, tu casses tout à coup sûr ». Une fois la poche ouverte, le burin n’est plus de mise, ou alors avec parcimonie. « 90% du temps, les poches sont remplies de glaise ou de débris de roche ». Les tournevis, bouts de bois et parfois même les doigts, entrent alors en scène avec une infinie précaution et dans la quasi obscurité. « Un vrai travail d’archéologue » témoigne Sylvain en montrant ses mains zébrées d’entailles.

Et même si la casse est inévitable, c’est la hantise du cristallier : briser une pièce que le hasard avait jusque là épargné. « Dans la redescente aussi, on peut perdre beaucoup si on est pas préparé », ajoute Greg. « Souvent il faut porter des dizaines de kilos de roche pendant des heures sur le dos ». Et les zones des cristalliers, il n’y a guère que des chamois pour s’y promener. Patience et persévérance.

Quartz Gwindel fumé, Aiguille Verte, Chamonix, Massif du Mont-Blanc, France.
Quartz Gwindel fumé, Aiguille Verte, Chamonix, Massif du Mont-Blanc, France.

En fin de journée, alors que les brins de génépis s’entassent au fond du sac faute de mieux, Sylvain déniche une poche à quartz inattendue. Quelques dizaine de mètres plus loin dans un autre couloir, une faille à préhnite s’ouvre enfin à eux. Les sourires réapparaissent. Les cristaux seront peut-être même prêts pour la bourse aux minéraux de Chamonix. A moins que la préhnite ne s’avère opaque et décevante…

Seul le nettoyage permettra au minéral de se révéler véritablement, comme au dernier stade de sa cristallisation. De la persévérance vous a-t-on dit.

Le jet d’eau d’abord. « Ensuite, on a un mini karcher pour bien aller entre les cristaux et pouvoir bien la déglaizer ». Puis viennent d’éventuels bains chimiques. Là non plus, pas d’improvisation avec le dythionite de sodium, l’acide chlorhydrique ou tout autre acide. Chacun a ses contre-indications. Certains cristaux ne supportent même pas l’eau.

Améthyste sur quartz fumé, massif du Mont-Banc.
Améthyste sur quartz fumé, massif du Mont-Banc.

A l’origine de cette passion pour le moins dévorante, les études font parfois office de révélateur. Alors qu’il se dirigeait vers la biologie, une première année universitaire avec initiation aux Sciences de la Terre a poussé Sylvain à « aller voir un peu ce que raconte les cailloux ». Les environs de Grenoble offraient un terrain propice aux découvertes.

Pour d’autres, la passion est là depuis tout le temps. « Tout gamin déjà je cherchais des fossiles, raconte Greg. La géologie m’a toujours fait triper. La formation des montagnes, la présence de la mer avant, je me posais plein de questions… » Et il a suffit d’un quartz pour passer des fossiles aux minéraux. « Et la passion a augmenté avec l’âge ! »

Stilbite, Glacier du Miage, Val Veny, Val d'Aoste, Italie
Stilbite, Glacier du Miage, Val Veny, Val d’Aoste, Italie

La beauté, le rêve, la chance sont autant de composantes primordiales de cette activité. Les termes de « prospection », « filon », « poche » n’évoquent-ils pas les chercheurs d’or des romans de Jack London ? « Il n’y a pas un seul cristallier, un seul minéralogiste amateur qui ne soit passionné. Impossible ». Sylvain et Greg sont pourtant lucides. Ils évaluent qu’entre 5 et 10 % de leurs efforts portent leurs fruits. Et puis les massifs du coin sont prospectés depuis des siècles…

Pour autant, ils avouent rêver de LA grosse découverte minéralogique. « La part de rêve est hyper importante dans cette activité. C’est un peu une chasse au trésor ce qu’on fait… »

Cristalliers devant les Droites et les Courtes, massif du Mont-Blanc.
Cristalliers devant les Droites et les Courtes, massif du Mont-Blanc.

Bourses, collections : quand les cristaux se montrent !

L’intérêt du public pour la minéralogie ne se dément pas. La profusion des expositions et bourses aux minéraux en témoigne. Des bourses de village à celles de dimension internationale comme Ste Marie-aux-Mines, plus de 250 bourses de ce type se sont déroulées en France en 2005. C’est, avec les prêts aux musés, une bonne occasion d’observer les spécimens des collections privées. Alors que de grosses pièces de plusieurs milliers d’euros enflamment la presse et l’imaginaire populaire, les prix dans les bourses tournent très souvent autour de quelques dizaines d’euros.

Quartz, Tête Noire, massif du Mont-Blanc, Suisse.
Quartz, Tête Noire, massif du Mont-Blanc, Suisse.

« Il n’y a pas de tradition d’élitisme dans les collections naturalistes en France. Ce sont plus des collections d’instituteurs, explique en amateur érudit F. Delporte. En terme monétaires, les minéraux sont bien moins important que les champignons ou les myrtilles ! Un quartz des Alpes c’est entre 3 et 30 € ! » On peut distinguer deux types de collectionneurs que ces pièces intéressent. Le collectionneur « global » est intéressé avant tout par l’espèce minérale, ou le cristal en lui-même. Peu soucieux de l’origine, il n’hésitera pas à acquérir des pièces de l’étranger.

Mais de plus en plus de collectionneurs s’intéressent à la provenance des minéraux. « Certains se rendent compte du manque de sens de disposer de pièces du Brésil, du Mexique, etc. Alors qu’avec une collection de cristaux de tel massif, ils connaissent la montagne, les endroits, ils savent par qui ça a été trouvé… ça leur parle plus » témoigne un cristallier.

Stilpnomelane et adulaire, Montagne du Mont-Chemin, Suisse.
Stilpnomelane et adulaire, Montagne du Mont-Chemin, Suisse.

Collecte de minéraux : vide ou trop plein réglementaire ?

Si les cristaux exposés font consensus et sont admirés de tous, l’activité de collecte prête elle à polémique. Ces dernières années l’incompréhension va croissante entre le monde judiciaire et celui de la minéralogie. Frédéric Delporte est l’un des experts les plus au point sur les aspects juridiques et sociaux de la minéralogie. Pour lui, « les textes ont été conçus pour des exploitations industrielles [de minerais]. C’est tellement évident à l’époque qu’aucun tonnage minimum n’est prévu. Il n’y a rien d’adapté à la collecte de minéraux ! »

Fluorine rose avec cristaux de quartz morion de Chamonix Mont-Blanc.
Fluorine rose avec cristaux de quartz morion de Chamonix Mont-Blanc.

En effet, « Le volume exploité, et la valeur des découvertes, restent minimes par rapport aux exploitations industrielles que sont les carrières et les mines, qui nécessitent des autorisations officielles très difficiles et coûteuses à obtenir« . Ce « trop plein juridique« , comme l’appel M. Delporte, ne laisse aucune place ni au « glanage des amateurs« , ni à « l’artisanat des pros » pour qui un régime de « micro-concession » paraît indispensable.

Et les paradoxes se multiplient. Alors que les habitants de l’Oisans prospectaient les cristaux en vertu d’un « droit ancestral […] confirmé formellement au XVIème siècle« , les cristalliers d’aujourd’hui sont assimilés par la presse locale à des trafiquants.

Iwan BARTH

Fluorine rose du Mont-Blanc (Chamonix - Haute-Savoie).
Fluorine rose du Mont-Blanc (Chamonix – Haute-Savoie).

Livres pour aller plus loin :
– Roger Canac, « L’or des cristalliers », éditions Denöel – 1980, « Des cristaux et de hommes », édition Glénat – 1997 ;
– Pascal Entremont, « Chasseur de pierres », éditions Robert Laffont – 1992 ;
– Walter Schumann, « Collectionner minéraux, roches et fossiles » – éditions Bordas 1993 ;
– Revues spécialisées : « Le Règne Minéral », « Le Cristallier Suisse », « Minéraux et Fossiles » ;
– Site web : www.geoforum.fr.

Article paru dans « Alpes Magazine », avril 2006, et dans le catalogue de l’édition 2006 d’EURO MINERAL & EURO GEM – SAINTE-MARIE aux MINES, avec l’agrément de l’auteur.

Photos Pascal TOURNAIRE, Chamonix.

Nos remerciements à Frédéric Delporte, Jean-Pierre SIRET, Jean-Frank CHARLET et Dominique FERAY pour leur collaboration.

Fluorine rose de Chamonix (massif du Mont-Blanc).
Fluorine rose de Chamonix (massif du Mont-Blanc).